Le sujet de philo qu'ils auraient choisi
15 JUIN 2017
Un artiste, un consultant d’entreprise, un avocat et un philosophe planchent sur quatre des sujets soumis hier aux candidats au bac philo. À vous d’estimer s’ils auraient mérité la moyenne… Ou pas.
1 : C’est quoi la beauté ?
Au plasticien rémois Christian Lapie, on propose de cogiter sur l’un des sujets proposés aux lycéens de la série économique et sociale du bac général : « Une œuvre d’art est-elle nécessairement belle ? » L’exercice semble s’imposer à cet artiste contemporain dont les sculptures, de noirs monolithes de bois goudronné, suscitent parfois interrogations et moqueries, particulièrement du FN local. Elles parsèment désormais les paysages du monde entier – de l’Inde à l’Allemagne, des États-Unis aux Seychelles – et aussi sa ville natale (place Stalingrad, musée des beaux-arts) : « Ça ne me parle pas, je trouve ça triste, sinistre, ça me fout le cafard… Voilà ce que j’entends souvent… C’est naturel, je ne le prends pas mal », explique Lapie qui pense que l’œuvre d’art n’est précisément pas affaire de beauté. « La beauté est dans la vérité d’une expression. Elle n’est pas dans la forme, la joliesse, l’harmonie. Même si ces critères sont fondateurs, la notion de beauté change avec les cultures et les époques. Quand Le Caravage peint la Vierge sur son lit de mort, il provoque un énorme scandale. Cette œuvre admirable est aujourd’hui vénérée. Et les «belles» » peintures de cette époque (XVIe siècle) sont souvent considérées comme très ennuyeuses, très laides », estime l’artiste rémois qui admet que « les regards peuvent aussi changer ». « Il arrive que l’art pompier, très académique, du milieu du XIXe, après avoir été longtemps sous-estimé, voire méprisé, suscite à nouveau l’intérêt, mais ce n’est pas forcément pour des raisons esthétiques. À l’inverse, il y a toujours eu, de tout temps, des œuvres d’art «pas belles» au sens joli du terme, mais qui ont fini par le devenir. On a vu ça avec certains impressionnistes, des cubistes. »
Conclusion : la beauté serait donc d’abord affaire « de regard, de charme, de vibration intérieure ». Lui-même admet une passion particulière pour deux artistes contemporains, adeptes de « l’anti-beauté » : l’Américain Jean-Michel Basquiat (décédé en 1988) et Cy Twombly (autre Américain), mort en 2011 et « dont les gribouillages, bien que souvent imités, sont uniques. Le mystère, c’est qu’on ne sait pas vraiment pourquoi ».
«La beauté, ce n’est pas affaire de forme, mais
de vibration intérieure»
Christian Lapie, artiste
2 : C’est quand le bonheur ?
« Le bonheur ne vient pas tout seul, donc oui il faut le chercher. Cela nécessite d’être acteur dans ses propres choix de vie et d’être dans une démarche proactive », estime Sébastien Arquié. À 39 ans, ce consultant rémois en gestion des ressources humaines a planché sur un sujet proposé aux scientifiques : « Pour trouver le bonheur, faut-il le chercher ? » Sébastien a consciencieusement pris sa plume et s’est d’abord attaché à définir la chose : « Le bonheur est un apprentissage qui se nourrit d’expériences vécues. Comme tout apprentissage, il existe une méthode pour être heureux. »
Adepte des citations (« Il paraît que ça rapporte des points »), le jeune chef d’entreprise en appelle ensuite à Périclès : « Il n’est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage », assurait l’antique philosophe. « Cette démarche nous positionne automatiquement dans une position de chercheur. » Mais s’il se cherche, le bonheur ne s’achète pas. « Le bonheur, c’est les autres (…) Si le malheur est l’égoïsme, alors le bonheur vient de l’altruisme », écrit l’apprenti philosophe qui en profite pour citer saint Luc : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. »
Dernier précepte : « Le bonheur, c’est soi-même. Il faut se poser la question de qui nous sommes (…) Cela implique la nécessité de se changer soi-même et de se débarrasser du superflu pour atteindre ce que Pierre Rabhi appelle une sobriété heureuse. »
Conclusion : « Le bonheur n’est pas un but en soi, une quête effrénée mais une façon de vivre. C’est un entraînement quotidien. Donc pour le trouver, il ne faut pas seulement le chercher, il faut surtout le vouloir. » Ce que la romancière américaine Margaret Lee Runbeck disait joliment : « Le bonheur n’est pas une destination mais une façon de voyager. » Pour les citations, ce sera tout pour aujourd’hui.
3 : Mais de quels droits ?
De quels droits est-il en effet question dans cet autre sujet proposé aux séries scientifiques ? : « Défendre ses droits, est-ce défendre ses intérêts ? » Pour l’avocat du travail, l’Ardennais Xavier Médeau, la réponse ne fait aucun doute. Il est bien ici question des droits des salariés. « Si je l’entends comme ça, alors oui, défendre ses droits, ce n’est pas seulement défendre ses intérêts propres, mais celui de tous les salariés », explique M. Médeau pour qui la notion de droits s’entend « au sens de ce qui est légal, donc inscrit dans la loi ». Le terme « intérêts » est lui aussi à définir. « On peut lui trouver un sens péjoratif, financier, pécuniaire, ou un sens large, ce qui intéresse . Mais ça ne change rien à la question : dès lors qu’il s’agit de faire respecter un droit, quel qu’il soit, on fait respecter le ou les intérêts qui y sont liés », analyse l’avocat qui dit avoir « adoré » la philo lorsqu’il était lycéen.
C’est grâce à elle en tout cas, que malgré un bac scientifique et faute de place, il avait embrayé vers la fac de droit. La suite a prouvé que c’était son intérêt.
4 : Est-ce bien raisonnable ?
C’est peut-être l’air du temps qui veut ça : « Ce sont six sujets de dissertation simples et profonds, tous imprégnés de morale », note le philosophe rémois Gérard Lemarié. Lequel aurait disserté sur un sujet du bac techno : « Y a-t-il un mauvais usage de la raison ? » « La réponse est oui. On l’a vu, hélas, avec les terribles expériences médicales des nazis. On peut appliquer la raison à quelque chose de déraisonnable. C’est aussi une question qui se pose avec les sectes ou encore le transhumanisme qui entend améliorer les performances humaines grâce aux sciences et techniques modernes », commente le philosophe ». Selon lui, ce sujet renvoie encore à la morale. « Est-il moral, par exemple, d’utiliser aujourd’hui des techniques médicales héritées, même de façon lointaine, des expériences menées sous le IIIe Reich ? » Mais poser la question, n’est-ce pas déjà y répondre un peu ?